Le silence est un espace à conquérir.
Il faut lutter pour y parvenir un temps. Prendre le temps d'y parvenir et de s'y maintenir.
Contre les sollicitations permanentes de ce monde, les bavardages, les signaux de notifications,
le harcèlement de la publicité, d'informations non hiérarchisées, la diarrhée des réseaux sociaux,
le silence se gagne.
Et le miracle qui vient avec lui.
Puisqu'à ce silence se produisent des phénomènes, aussi extraordinaires qu'aisément accessibles.
A portée de main. A portée d'âme. Quand des retrouvailles s'opèrent enfin. Avec nous-mêmes.
Dans ce silence, le temps s'arrête. Ou bien se métamorphose-t-il. Quand le présent prédomine.
Dans le silence, le présent s'installe enfin. Se dilate tout en s'aiguisant. Deux mouvements contraires.
Le présent devient saillant. Vertical. Aussi vrai qu'il s'étale, et incorpore peu à peu le passé et le futur.
Le passé et le futur immédiats. D'abord. Que le présent embrasse sans efforts. Et puis, cela s'accroît.
Le présent s'élargit encore, encore davantage dans le passé, encore davantage dans l'avenir.
Tout en devenant de plus en plus présent. Dans tous les sens du terme.
Et ce phénomène s'accompagne d'une autre manifestation, aussi contradictoire que la première.
Dans le silence, nous devenons plus nous-mêmes, aussi vrai que nous disparaissons.
Cette disparition est en fait un élargissement. Ce qui est vrai pour le présent l'est alors pour nous.
Nous devenons ce que nous avons été, et ce que nous serons, nous retrouvons l'essence de l'être.
Et devenons de ce fait le temps et l'espace que nous traversons, avons traversé et traverserons.
Nous devenons les arbres, le ciel, les oiseaux et les nuages, la rivière et la côte, la montagne et la neige.
Nous devenons ceux que nous avons connus, ceux que nous connaissons, et ceux que nous connaîtrons.
Dans le silence soudain, alors que le présent devient le temps dans son entièreté, et toutes ses dimensions,
nous devenons nous-mêmes, au paroxysme du possible d'être soi-même, et devenons le tout, l'ensemble,
de ce qui nous entoure et dont nous faisons intimement partie.
Il en faut du silence. Il en faut du temps pour pénétrer ce silence. Un silence qui ouvre toutes les boîtes.
Qui abat tous les murs, toutes les cloisons. Qui dissout les frontières, les barrières, et jusqu'à notre peau.
Pour sortir de ce corps tout en le sentant plus que jamais vibrant. Au silence, tout est présent.
Ce qui a été et ce qui sera. Puisque le silence est le présent. Où la conscience redevient conscience.
Animale. Spirituelle. Incarnée. Et l'expérience est hallucinante. Comme un voyage astral.
Tout ce qui est mort reprend sa place. Tout ce qui n'est pas encore s'y révèle.
Formant ensemble ce miracle de l'existence. Celui d'être. A l'instant t. Le miracle du présent.
Sans pollutions sonores et intellectuelles. Sans perturbations de son petit monde quotidien.
Le silence plombe et leste verticalement, aussi vrai qu'il propulse vers l'horizontal absolu.
Le passé et l'avenir. Les quatre points cardinaux. Des cieux jusqu'au tréfonds. Du monde et de soi-même.
Puisque tout à coup, dans ce silence omniscient, même notre conscient finit par se taire tout à fait.
Notre voix intérieure s'arrête de s'auto-persuader de telle ou telle chose, s'arrête de prier ou de rêver.
Quand nous finissons de bavarder avec nous-mêmes dans notre tête, le silence se fait véritablement.
Et la décorporation est possible. Ou, mieux que cela, le double phénomène éblouissant, bouleversant,
d'une décorporation et d'une méga-incarnation. En même temps.
Il en faut du temps, pour gagner ce silence. Ce temps, il faut le prendre. Envers et contre tout.
N'ayez pas peur d'être seuls avec vous-mêmes. Quand, dans ce silence, nous serons légions.
De siècles et de millénaires d'ancêtres et de générations. Des milliards de séquences de nous-mêmes.
Des myriades d'âmes humaines, d'expressions du vivant, passé et à venir, et des myriades d'anges.
Tout est en nous. Au présent absolu. Qui contient les deux choses. Ensemble.
L'éternité et l'infini.
Philippe LATGER / Avril 2025