... ou de qui vous voudrez
Je m'étonne que des gens rêvent et travaillent à l'immortalité.
Qu'on ait envie de vivre le plus longtemps possible, je le comprends.
Qu'on ait envie de vivre le plus longtemps possible, en bonne santé, je le comprends.
Mais que l'on veuille échapper à la mort ... est à mes yeux un désir très étrange.
Ne sachant pas ce que c'est, je ne ferais pas le pari que ces gens semblent faire.
Ils parient que la mort est moins bien que la vie. Ou que la vie est mieux que la mort.
Qu'en savent-ils ? Qu'en savons-nous ?... Rien. Et le pari me semble bien risqué.
Pourquoi la mort serait moins bien que la vie ? Sur quoi se basent ces gens pour le penser ?
On peut le craindre, mais puisque c'est notre condition, pourquoi refuser l'expérience ?
Quand on voit la délicatesse de Dame Nature, de Dieu, ou de qui vous voudrez,
tant que nous parlons de la même chose, qui ne nous donne pas la mémoire de notre naissance.
Sachant que naître est certainement plus violent que mourir. Je trouve cela plutôt encourageant.
Moi, je fais confiance. A tout ça. Dame Nature, Dieu, ou qui vous voudrez,
tant que nous parlons de la même chose.
S'il faut mourir, alors mourons. Je veux bien voir et savoir de quoi il retourne... ça m'intéresse.
Maintenant que je vous en parle. Maintenant que j'y pense...
Les gens qui rêvent et qui travaillent à l'immortalité... ils ont renoncé à leurs défunts.
Si je comprends bien, ces gens qui aimeraient devenir éternels, sauf à croire peut-être
à la résurrection de tout le monde à la fin des temps, ont en fait renoncé à rejoindre qui que ce soit
dans la Mort, y compris ceux qu'ils ont eu le temps de connaître et d'aimer. Rien à tamponner.
C'est vraiment une quête de jouisseur égotique. Nombriliste. Mégalo et narcissique.
Une quête aussi de lâches, de peureux, de pleutres qui ont peur du changement, et de l'inconnu.
C'est enfin une quête d'imbéciles. Puisque l'intelligence est la capacité à comprendre les choses.
Le progrès permettra aux aveugles de voir, permettra de vaincre le cancer et de coloniser Mars,
il permettra de contrôler la douleur et de mourir dans la dignité, et c'est l'honneur de l'humanité.
Mais pourquoi nous maintiendrait-il dans le coma de la vie ? Nous empêcherait-il d'aller au bout ?
Nous laisserait-il enfermé dans notre corps physique pour l'éternité ?
La vie, c'est sublime, mais je n'ai pas envie de me couper les ongles et les cheveux pendant l'éternité.
La vie, c'est magnifique, mais je n'ai pas envie d'avoir des sinusites et de l'arthrose pendant l'éternité.
Et puis d'abord, l'éternité, oui, mais à quel âge ? A vingt ans ? A trente ans ? A cinquante ?
La quête d'immortalité est une quête d'imbéciles.
Ils n'ont pas compris qu'ils sont déjà morts. Il n'ont pas compris qu'ils n'ont cessé de mourir.
Qu'ils meurent tout le temps. Sans s'en rendre compte. N'ont-ils pas compris celà ?
Que le gosse de cinq ans qu'il furent n'est plus ? Que le gosse de quinze ans qu'il furent n'est plus ?
La jeune personne de 20 ans qu'ils ont été est morte. Et ils ne sont pas morts pour autant.
Cela ne leur donne aucune indication ni indice sur ce que pourrait être le temps, la vie et la mort ?
Je m'étonne que des gens rêvent et travaillent à l'immortalité.
Moi, je ne dirais pas que j'ai hâte de mourir, mais enfin, je serai bien curieux de savoir ce que c'est.
Je serai bien curieux de savoir ce qui nous attend, comment cela va se passer. Sans panique.
Avec du trac, oui, bien entendu, comme avant un voyage, un moment important, un rendez-vous,
quand on espère qu'il n'y aura pas de problèmes, que cela va bien se passer, oui, ça s'appelle le trac.
Mais le trac n'empêche personne de monter dans l'avion ni de monter sur scène.
La première fois qu'une érection m'a conduit à cette chose étrange qu'est une éjaculation,
je me suis laissé faire, avec un certain trac, ne sachant pas exactement où cela allait me mener,
puisque personne ne m'avait parlé de rien, avec un certain trac mais en confiance, et pour moi,
mourir sera la même chose : je me laisserai faire, avec un certain trac, ne sachant pas exactement
où cela me mènera, avec un certain trac mais en confiance, parce que les choses sont bien faites.
Alors non. Je n'ai pas peur de mourir moi-même. Je crains le déchirement à la mort de mes proches.
Mais sûrement pas celui de quitter ce monde, parce que le pari que je fais est à l'inverse de l'autre.
Je parie que la mort sera un truc vachement mieux que la vie. Que ce sera la vie, mais en mieux.
Et que vivre éternellement nous priverait de ce truc génial qu'est l'expérience d'être mort.
Je fais le pari que, contrairement au monde des vivants où nous sommes isolés entre vivants,
séparés de ceux qui meurent et de ceux qui ne sont pas encore nés, dans le monde des morts,
nous serons tous réunis, ensemble, avec les vivants, les morts et ceux qui ne sont pas encore nés.
Je n'exclue pas la réincarnation. Je veux dire dans le monde des vivants. Dans un nouveau corps.
Mais je suis prêt à croire à un espace où tout ce qui est amour se retrouve pour fusionner.
Un espace où la chronologie de ce qui a été, de ce qui est, et de ce qui sera, n'a plus cours.
Comme poussière qui retourne à la poussière, nous sommes chacun, individuellement, une parcelle
de Dame Nature, de Dieu, ou de qui vous voudrez, tant que nous parlons de la même chose,
et comme poussière qui retourne à la poussière, nous retournerons à Dame Nature ou à Dieu.
Où tout est. Ce qui n'est plus et ce qui n'est pas encore.
Alors oui, j'ai le trac. Mais non. Je n'ai pas peur de la mort.
Vu la magnificence du monde des vivants, je ne peux pas croire que celui des morts soit pourri.
Je ne vois pas pourquoi ce serait moins bien. Au pire, ce sera aussi bien. Ce qui serait déjà dingue.
Puisque le monde des vivants est une dinguerie. Sauf que le monde des vivants contient le mal.
Et que le pari de l'espace où l'amour fusionne est le pari d'un espace sans le mal.
Alors non. Je n'ai pas peur de la mort. Mais oui. J'ai le trac.
Et malgré ce trac, j'ai adoré me laissé conduire jusqu'à ma première éjaculation.
J'ai le trac mais je n'ai pas peur. Parce que j'ai confiance. Vu notre monde, j'ai confiance.
En Dame Nature, Dieu, ou qui vous voudrez, tant que nous parlons de la même chose.
Philippe LATGER / Avril 2025